Quelques anecdotes pas toujours très glorieuses

Quelques histoires vécues de négociants-voyageurs d’Auvergne

Nous tenons ces témoignages de M. Michel Deladoeuille.

Juste à la fin de la guerre, à Bordeaux, une jeune équipe de 6 ou 7 marchands de toile de Marcenat et de St Bonnet se déguisent en marins américains et défilent dans les rues en interrogeant les passant pour leur proposer des « surplus américains » qu’ils ont dans leurs sacs. Ils baragouinent n’importe quoi avec un semblant d’accent américain. Comme les gens ne comprennent rien un des gars se présente comme interprète et organise la vente. Dans plusieurs quartiers ils ont vidé leur sac et l’ont rempli chez un grossiste local…et ils avaient bien rigolé (c’est le père de l’un d’eux qui m’a raconté l’histoire en me disant qu’il n’aurait jamais osé faire cela)

 

Là c’est un ami marchand de toile qui, parfois, au cours de sa tournée s’il pleuvait, faisait tomber une pièce de toile dans le fossé pour qu’elle se salisse. Il la rechargeait dans sa voiture et chez ses clients du pays où il passait (exprès bien sûr) il disait « j’ai eu un problème, j’avais sur la galerie une pièce de toile tout emballée et, dans un virage, elle a basculé dans le fossé pace que j’avais dû mal l’attacher. Alors je me suis arrêté, j’ai vite défait le papier tout mouillé et boueux, mais la toile avait reçu et elle est sale et mouillée…pouvez-vous me la garder pour la faire sécher et demain je repasserai la prendre car j’ai encore des clients à voir dans le coin ». Ceci dit, il n’est pas revenu et quelques semaines après il a écrit à ses clients en leur disant qu’il avait été obligé de rentrer plus vite que prévu. Pour la pièce de toile, leur disait-il, je repasserai un de ces jours, ou peut-être seulement à ma prochaine tournée. Si ça ne vous embarrasse pas trop et même si vous avez besoin de quelques mètres pour faire des draps ne vous gênez pas, on s’arrangera à mon prochain passage. Et, souvent, la toile servait pour les clients, voire pour leurs voisins et quand il repassait quelques mois plus tard on s’arrangeait pour le paiement. Il m’a avoué avoir fait ce système plusieurs fois tout en se gardant bien de le pratiquer dans le même secteur.

 

Maintenant c’est un colporteur de Cros de Bagnols qui, l’été, visitait les burons et vendaient aux vachers des vêtements de travail, des mouchoirs, des serviettes, même des sabots et, un jour, il eu l’idée de leur vendre de l’électroménager (mon beau-frère et ma sœur aînée était grossiste dans ces articles et faisaient les livraisons, et assuraient le service après-vente à condition qu’il y ait au moins un chemin d’accès pour une camionnette 2CV). Mon beau-frère qui a fait des livraisons pour ce marchand m’a raconté qu’un jour il lui a fait livrer un réfrigérateur alors qu’il n’y avait pas d’électricité. L’occupant du buron n’en voulait pas et son marchand qu’il connaissait de longue date a été assez persuasif pour faire la vente en disant : « mais ça vous fera un beau placard et les souris ne pourront pas y rentrer !!! »

 

Texte de Raymond CORTAT édité en 1938 ( L’Auvergne chez elle et à travers le monde ).

L’Auvergne chez elle et à travers le monde.

….. Celui qui passe maintenant est un « Monsieur ». Si bien mis, il n’a que faire de la peille. Plutôt il t’offrira tout à l’heure la belle toile neuve des Flandres ou des Vosges. Comme il traversait le coudert, les oies ont sifflé, cou tendu, menaçantes. Il cherche à les éviter, trébuche. La pièce de toile glisse au purin. Et lui de se lamenter : Il n’était que commis ; son patron le chasserait. Ah ! si l’on avait la charité de lui prendre sa toile, telle quelle : saleté n’exclut point qualité. En la lavant ….Il la cédait à moitié prix. « J’y doublais, Monsieur ». On en raconte tant et plus.

Un autre prenait l’habit d’archevêque, débarquait à l’improviste en quelque paroisse au cœur de la montagne, frappait à la cure. Voilà le pasteur dans ses embarras, prodiguant les révérences et les « Monseigneur », et les « Excellence ». Il se trouvait que l’Excellence, ayant quitté sa cathédrale, poussait l’humilité jusqu’à vendre elle-même la toile pour le succès d’une « bonne œuvre » ; le curé brûlait d’y participer, y associait ses paroissiens. La toile sur le champ s’allait loger en mainte pieuse armoire. Pour le même prix, son Excellence vous leur eût à tous donné sa bénédiction.

Et ces autres, que mesurent-ils sur le pont, à l’entrée du bourg ? Ils vont, viennent, perplexes. Des gamins arrivent ; des bonnes femmes avec leur tricot. « Nous regardons si la machine pourra passer ; elle est tellement large. Ce sera juste mais elle passera — Quelle machine ? – Hé ! Pauvres, la machine à ourler et broder les draps. Elle arrive derrière. Large comme elle est, elle n’avance pas vite, par vos petits chemins. Elle sera là, dans une heure, deux au plus. Nous brodons gratis les draps de notre clientèle ». Ceux qui achetèrent des linceuls, ils n’ont pas fini d’espérer la machine.

Ces « trucs » valent ce qu’ils valent. Leur authenticité reste sujette à caution. Des gentillesses de même farine, on en ramasserait un grand livre, à la façon des Histoires Marseillaises : « Histoires de la Terre Sainte ». Les marchands de toile ont une clientèle qu’ils visitent à date fixe, et avec laquelle ils entretiennent d’amicales relations.